Allongée sous l’arbre, novembre

Si je reste un peu, est-ce que je deviens une pile de feuilles tombées ?

Et si je reste un peu, est-ce que l’écureuil m’accepte sur son seuil et cesse de me menacer ?

Et si je reste un peu, est-ce que je peux m’emplir de l’odeur du sol d’automne assez pour que chacune de mes expirations la porte ?

Est-ce que le chant des oiseaux continue bien après la rumeur des voitures ?

Et si je reste un peu, est-ce que je sens pousser sous moi les racines ?

Et si je reste un peu, est-ce que je peux être assez honnête pour tomber en silence, et vide pour tout recevoir ?

Arbre de Gilles Clément
Arbre de Gilles Clément

« J’ai toujours assez mal chanté, mais toujours avec passion. »

Hier j’ai appris à dépecer et découper une brebis fraichement égorgée ! Félix conduisait l’atelier. Il est très engagé dans les alentours : il a planté de nombreux petits jardins de plantes médicinales où il fait découvrir aux élèves d’écoles avoisinantes comment les plantes poussent et quelles sont leurs vertus, il donne un cours sur l’identification des plantes sauvages comestibles dans la grosse université étatique du coin, offre des services très pédagogiques d’abattage, dépeçage et découpe de divers animaux de ferme, construit des fours d’adobe (mélange de terre argileuse et de paille ou copeaux de bois, très isolant et facilement constructible avec les matériaux du coin), plante des arbres fruitiers dans les rues pour la consommation des habitants, etc. Une bonne partie des activités est réalisée de manière bénévole, ou sur le modèle d’une économie de don : je t’offre ceci et si tu le souhaites tu m’offriras à ton tour ce dont tu disposes en excès. Les richesses circulent, que ce soit des techniques artisanales traditionnelles, des poules, de l’argent, ou bien simplement un peu de temps pour donner un coup de main.

C’était la première fois que je voyais le processus qui transforme le blanc mouton du pré en brochettes. J’ai participé en coupant la peau, en tirant pour la décoller des muscles, en m’émerveillant devant la tête des intestins de la bête et devant une superbe membrane en ramifications laiteuses, en mangeant un œil cru (qui aurait prévu ce goût de camembert frais ?), puis en dorant les morceaux de chair découpés au-dessus des braises d’un feu de bois, après les avoir badigeonnés de miel. Un délice. Un pur délice. Je découvre chaque jour des saveurs insoupçonnées dans la nourriture que je mange, liées à mon implication dans la production de ces produits. Nous sommes rentrés à la maison après quelques airs de banjo, scie musicale, caisses, gorges déjantées… et avons déposé quelques morceaux de viande à tremper dans du vinaigre de riz, de l’huile d’olive, des piments récoltés il y a quelques jours, du poivre, du sel. La poêle les a ce soir mariés à de l’ail, des carottes et du thym du champ. Quel chant. Mais quelle explosion en bouche ! Des milliers de fleurs fraiches semblent soudain n’en plus finir d’ouvrir grand leurs pétales en feux d’artifices qui laissent ma langue coite.

Et puis il y a le plaisir enfantin qui m’envahit et me déborde quand je récolte les graines d’une plante que j’aime, tulsi ou spilanthes, que je pédale jusqu’à l’appartement où je les étale à sécher quelques jours, veillant à leur confort, ouvrant un peu plus une fenêtre pour inviter la brise de l’hiver naissant à souffler ses murmures nouveaux sur la tête de ces boules de vie. Les murmures de l’hiver naissant sont toujours nouveaux, pleins de promesses légères. Parfois je tends l’oreille. Après quelques jours je glisse les graines dans une enveloppe, sur laquelle j’inscris, avec application et reconnaissance, le nom de la plante. Ah ! Je crois n’avoir jamais ressenti pareille confiance en la vie qu’auprès de ces graines. J’ai aussi récupéré des graines de diverses plantes potagères, melons, poivrons, salades… j’ai hâte de leur semer un présent. Saviez-vous que les graines de moutarde peuvent germer après avoir passé 50 ans dans le sol ? A attendre un moment opportun… Force de vie !

J’ai aimé cet atelier pour la chaleur et la proximité instinctive entre les participants. Pas de conventions sociales déclinées en politesses ou timidités distanciées. On est là, on travaille ensemble, tu me passes le couteau, salut toi comment tu t’appelles bienvenue… contact direct, sincère, inclusif, constructif et créatif ! Je crois que c’est ce qu’on retrouve souvent dans ce genre d’ateliers d’échanges de savoir-faire.

Je souhaite finir par quelques phrases probablement écrites ou prononcées par Georges Brassens. J’ai acquis un livre qui compile l’intégrale de ses œuvres : articles, chansons jamais chantées, recueils de poèmes, nouvelles, lettres à des amis… Je me passionne pour l’homme, si sage, si humble, libre penseur, libre vivant. Santé à vous qui nous lisez !

« L’anarchisme, c’est une façon d’être, c’est une morale. C’est le respect des autres. »

« Je suis chez moi à peu près partout. Je n’attache pas une très grande importance à l’endroit où j’habite. Du moment que j’ai ma peau sur moi, ça me suffit. » « Je n’ai presque rien : une table, une chaise, un lit, quelques bouquins et quelques guitares, c’est tout. Quelques pipes aussi ! » « J’ai un sens de l’inconfort tout à fait exceptionnel, je me fous complètement du confort.  » « Le confort, pour moi, c’est un brin d’herbe sur lequel je peux m’allonger. »

« Je préfère que l’on me marche sur les pieds plutôt que de marcher sur les pieds des autres. »

« J’ai horreur de voyager ailleurs qu’à l’intérieur de mon âme. »

« Je perds des hommes, des chats, des chiens et des femmes avec chagrin, mais des objets, non. »

« L’amour est plus beau quand il est débarrassé du sens de la propriété. »

« Un poète est à la fois philosophe, philologue, moraliste, historien, physicien, jardinier, et même marchand de maisons. »

« Je n’aime pas vivre en bande, j’aime mieux vivre seul. » « J’aime la pensée solitaire, je déteste les moutons. » « Solitaire, comme dit l’autre, mais solidaire. » « Tous les hommes sont mes frères et je suis chez moi partout. »

« L’information actuelle s’accorde bien avec le fauteuil et le bruit. Beaucoup de nouvelles, beaucoup de confort et beaucoup de bruit, ça ne peut pas produire des esprits actifs et profonds. »

« La seule révolution c’est d’essayer de s’améliorer soi-même, en espérant que les autres fassent la même démarche. »

Four d'adobe qui accueillera quelques pizzas
Four d’adobe qui accueillera quelques pizzas
Dépeçage
Dépeçage

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Graines de spilanthes
Graines de spilanthes (noires) & petit doigt
Poules à Heart's Content
Poules à Heart’s Content
Lever de soleil à Heart's Content
Lever de soleil à Heart’s Content

« J’ai toujours assez mal chanté, mais toujours avec passion »

Il est si difficile d’écrire : parce que tout est connecté, tout est en profonde, parfois sinistre, avant tout remarquable interdépendance. Je veux parler d’agriculture locale, biologique, à petite échelle, et des plantes médicinales que je cultive, découvre, récolte, je veux parler de l’organisation Grow Food Northampton avec laquelle je travaille et dont le but est de promouvoir la sécurité alimentaire en développant l’agriculture bio dans la région, et dès que cela est dit je me retrouve à vouloir parler de santé, parce que « food is medicine », les intrants que nous nous hâtons souvent d’ingérer sont, font ce que nous sommes, comment nous nous sentons, l’aisance avec laquelle nous nous mouvons, pensons, respirons. Pourquoi la France est-elle en proie à une épidémie gargantuesque de maladies chroniques ? Pourquoi le cancer est-il en première place du podium ? Comment mange-t-on, cultive-t-on, que respire-t-on, est-ce que la santé peut réellement se résumer à des pilules et des opérations après-coup, après que le mal ronge ? Quid de la prévention, et pourquoi t’es malade tiens ? Et pourquoi est-ce qu’on s’obstine à tout séparer, comme si la santé n’avait rien à voir avec le pétrole avec la socio avec la physique quantique avec la poésie avec l’éducation avec les math avec le yoga avec la politique avec le bleu du ciel, et les abeilles dont chacune des antennes est équipée de milliers de récepteurs captant des gradients d’odeurs, des informations relatives au goût, au toucher, à la température, à l’humidité, au taux de gaz carbonique, dont nous n’avons pas idée ? N’est-ce pas radical que de saluer l’abeille sur son passage, humblement, en percevant les limites de ma compréhension, de mon intelligence, et l’inexprimable différence de son expérience par rapport à la mienne ? Toute science humaine exacte est-elle autre chose qu’une approximation fondée sur des postulats métaphysiques arbitraires ?

Des consultants pour McKinsey qui font des semaines de 70h, vivre à travers l’iPhone, et puis on parle d’urbanisation durable, et on exporte partout ailleurs les systèmes d’assainissement des eaux développés en Occident, qui aveuglément s’obstinent à considérer nos défécations comme des déchets, quand des toilettes sèches permettraient de les transformer en un compost si fertile, et comment ça mais comment ça que nourrir 9 milliards d’humains est le défi le plus impossible du siècle ? Et si l’on faisait comme à la guerre et que soudainement chacun cultivait un bout de terre de 20m², parce que ça ne prend pas tant de temps que ça si l’on sait comment s’y prendre, et oui l’information est capitale, éducation, comment la fait-on circuler, et justement le temps, le temps, le temps, prendre le temps !

Qu’est-ce que bien vivre ? Qu’est-ce qu’on veut, qu’est-ce qu’on cherche ? Pourquoi tant de mépris en Occident pour des traditions médicinales et philosophiques orientales millénaires, qui sont depuis si peu traduites dans nos langues. Oui, respirer. Qu’est-ce que ça peut bien faire, de prendre le temps de respirer chaque jour, de concentrer son attention sur l’air qui entre, sort, entre, sort, à part aiguiser notre conscience du présent, nous rendre intellectuellement, émotionnellement, entièrement disponibles et ouverts aux surprises intarissables de chaque instant ? Qu’est-ce que ça peut bien faire, à part participer à relâcher les tensions, les fourchées de problèmes et tout d’un coup une lueur lucide : simple, tout est là, tout est entier, tout est nouveau, tout est en toi, toute la sagesse du monde t’habite, descends y faire un tour avec tes gros souliers.

Où la philosophie est un art de vivre, l’art d’être heureux. Une pratique continue, un exercice quotidien, un sourire, une acceptation : ce qui est est, pourquoi passer notre temps à ruminer ce qui aurait pu, dû arriver, à prévoir ce qui arrivera. Pourquoi attendre quelque chose de quelqu’un puis fumer frustré car nos prévisions, attentes étaient vaines ? Non, je n’aurais pas pu, dû savoir, penser, prévoir, comme tu l’aurais voulu. J’ai pensé ce que j’ai pensé car il n’y a que différence, attendre quoi que ce soit de quelqu’un c’est vouloir croire que nous sommes semblables, s’illusionner.

États de conscience, en Occident on n’en reconnait qu’un de valable : je suis éveillée, j’écris. La nuit je rêve en délire séparé de la réalité, de la raison. Méditer ? Religion, secte ! Et pourtant tant de cultures traditionnelles, indigènes ont exploré des scènes de conscience différentes, en ont fait des pierres de touche dans leur compréhension et leur perception d’elles-mêmes et du monde. Et si nous nous mésestimions grossièrement ? Si nous amoindrissions les infinies capacités de notre esprit, de notre conscience, en ne reconnaissant qu’un état de conscience comme la norme, et tout autre comme une pathologie mentale ? Chacun de nous a accès à des profondeurs insoupçonnées, peut explorer des étapes de développement inespérées, en s’ouvrant, travaillant à sa conscience, acceptant simplement la possibilité d’un potentiel humain énorme au-delà de mots. Il y a de ces expériences au-delà du temps et de l’espace, de polarités, du bien et du mal, de la stabilité et du mouvement, du plaisir et de la douleur. Il y a de ces expériences d’expansion et de bonheur sans limites aucunes, où la notion et perception d’individu isolé est dissoute d’elle-même, où l’on n’est plus que tout.

Pourquoi mais pour l’amour, le bon, le beau, le vin, que sais-je encore ! Pour réaliser que les êtres humains vivent en symbiose avec le reste du monde, soleil, arbre, abeille. Pour réaliser que nous ne sommes séparés de rien, étrangers à rien, supérieurs à rien, par aucune loi, en-deçà des formes. Infinies poussières d’étoiles. Pour transporter dans son ballot le courage quotidien d’un sourire, un geste, une parole, un silence.

J’ai un immense faible pour Brassens.

 

« Mon métier et mon art, c’est vivre. »

C’est ce filou de Montaigne qui l’a dit !

…Se remettre à écrire.

« Combien de mois, combien de vies faut-il pour écrire une phrase qui égale en puissance la beauté des choses ? » Christian Bobin

Écrire de s’y remettre…

« Dans le monde, on ne dit rien, avec beaucoup de mots. » Christian Bobin

Ho eh dis Christian, tu nous les lâches ces baskets ? C’est déjà pas bien commode que d’essayer de poser des mots sur des fleurs, des mots sur des odeurs. Quoi ! Oui mille fois oui que je fais juste du bruit, du bruit pour du rien dire, du rien dire d’autre que mon Dieu mignon dis donc, pourquoi m’a-t-il fallu tant de temps pour rencontrer tulsi ?

J’ai accosté tulsi à plein corps, à bras les mains. C’était lundi je crois, premier matin au champ. De la maison j’ai enfourché, vaillamment, mon véhicule, le cœur bien accroché à mon vélocipède de mec, de route, de rouille. On trace la place dans le trafic : un SUV  à droite, un SUV à gauche, une chaussée obèse, un système de feux à se les arracher… Ô Paname Paname ! Tes p’tites rues, tes p’tites caisses et tes p’tits chauffards impertinents, on s’entendait bien finalement, on était fluide là-bas, flux… Ça passe au vert, le vélo et moi échangeons des regards solidaires. C’est pas des grosses grosses grosses grosses tutures qui vont nous faire peur dis ! Pas une ni deux ni plus ni moins qu’en trois coups de pédale, nous voilà déjà sur la piste cyclable, eh, rendez-vous compte ! Le chemin de fer qui reliait les villes du coin a été transformé en piste il y a 30 ans, le nombre de cyclistes a explosé, c’est bordé d’arbres tout du long, et pis moi comme les heureux je vais au boulot à deux roues ET sans les mains, poil au rein !

Ce matin-là n’en finit pas de faire le tout beau. Susan, la reine des prés, me présente tour à tour à toutes nos collègues, nos stagiaires, nos indésirables, nos protégées… Toutes de bien belles plantes. La fleur nasturtium, rouge ou orange, avec ses pétales en toiles d’araignée nénuphars et son goût épicé. Ce vieil ami le persil, le plus riche en fer. Le shiso (du japonais « plante violette qui fait revivre »), délicieux en cuisine, excellent pour le foie, contre les allergies… Des weeds des weeds des weeds, des herbes mauvaises maléfiques, qui ne poussent pas là où l’on voudrait… Et puis, au détour d’un buisson, un nuage bruissant se lève, tout en voluptés parfumées… des senteurs sveltes soudain s’emparent sans pitié de la totalité de mes trous de nez, mes neurones olfactifs, tous les nerfs, le cerveau, le cœur tout tout tout je vous dis – RHAAA, mais qu’est-ce que ça sent bon non de non !!!

Tulsi : Juliette, Juliette : tulsi.

Le tulsi, ou basilic sacré, plante vénérée depuis des milliers d’années en Inde, dans l’hindouisme et la médecine ayurvédique, en Égypte antique où la plante était utilisée dans le processus de momification, en Grèce antique où elle était réservée à la famille royale… Le tulsi est adaptogène : il nous aide à lutter contre le stress ; c’est un excellent carminatif : il aide à la digestion ; il nous aide à nous concentrer, à lutter contre les fièvres, maux de tête, rhumes, le diabète… à vrai dire la liste n’en finit pas de n’en pas finir. En faisant mes recherches, mon bon sens se heurte avec fracas à tous ces gros mots que contient le tulsi : camphre, eugénol, vitamine A & C (bon ça, ça va), plein de minéraux, du caryophyllène et, le meilleur pour la fin, des acides tri-ter-pé-niques – on espère qu’il y a des petits biolochimistes qui passent par là et se disent ooooh aaaah mais ouiii !

Mais comment vous décrire le plaisir infini que c’est, de passer une demi-heure à récolter du basilic sacré ? J’ai passé la plupart de ma vie à travailler le cul sur une chaise face à un tableau de craie, sur des tables en bois agglomérés grâce à des colles synthétiques reconnues cancérigènes et allergisantes depuis belle lurette en raison du formaldéhyde qu’elles contiennent ; quand ça commence après une heure de cours à sentir un peu trop l’humain suintant, on ouvre grand les fenêtres pour pouvoir mieux respirer le diesel et ses copines les particules fines de la rue Saint-Guillaume ; pis à l’heure de la pause on casse la croûte entre trois nuées de clope…

Là, les mains dans les petites fleurs de tulsi, j’ai l’impression de me baigner dans un délice ambiant et complètement irréel, c’est enivrant, envoûtant. Le soleil. Des p’tits piafs. On se sent bien. C’est bon. C’est bon et bon et bon, et c’est tout, et pourtant tant ! Je passe le reste de la journée à me renifler les menottes sans pouvoir croire à tel parfum. De retour aux pénates, j’étale en plein régal les poignées de tulsi récoltées, et en sépare minutieusement les feuilles pour qu’elles sèchent plus à loisir, au risque qu’au séchage, au passage, j’en perde un peu d’essence.

Depuis une semaine, chaque matin au réveil, je fricote avec la bouilloire, la tasse d’argile, quelques feuilles de la nouvelle pote, et le plaisir simple de cultiver la santé.

Et en fait, qu’est-ce que tu veux faire après tes études, enfin dans la vie quoi ?

Un jardin !
Un poème !
Oui

P1010087Tulsi

OLYMPUS DIGITAL CAMERABlettes

There is a pleasure in the pathless woods

Photos de l’automne à Hampshire : ici !

Une prise de conscience, toute simple, si bête, mais immense. Je dois vivre à la campagne, je vais vivre à la campagne !

C’est si simple d’y être heureuse ! Le bonheur simple est dans le rouge insolent des arbres, le grésillement des criquets, la multitude de ruisseaux s’inventant des labyrinthes improbables dans les bois, le tapis d’aiguilles de pins qui étouffe et amortit les pas, la brume au petit matin qui tient tête un instant au soleil sanglant, les étoiles filantes qui n’en finissent pas de filer, le trottinement indifférent du renard à la tombée du jour, la pluie torrentielle qui rend chaque parcelle de terre délicieuse de moelleux pour la plante des pieds nus, les saisons qui défilent –

J’ai du mal à m’imaginer retourner vivre 2 ans à Paris…

Je suis Mashk, la première religion de l’Homme

Quand une maman orignal s’immobilise avec son petit au milieu de notre route ou qu’un ours traverse subitement notre paisible petit chemin de randonnée, quand un bruit dans les hautes herbes révèle à nos yeux un porc-épic en train de festoyer, quand je vois des têtes de phoque apparaître à une dizaine de mètres dans l’eau alors que je me baigne dans l’Atlantique, je sais, alors, que…

« Dommage de la mémoire, dégât de l’amnésie. Je suis Mashk, la première religion de l’Homme, avant Yahvé, avant Bouddha, avant quelque Allah que ce soit. Si tu m’aperçois sur une route de gravier jaune entre une petite ville perdue et une autre petite ville perdue, au milieu de la vaste Boréalie en train d’être déforestée, arrête ta voiture et jase avec moi. Tu me verras balancer la tête, te parler, te parler. Je suis le Dieu de ton bon Dieu, ta première prière. Je suis les Anciens et les Anciennes dans un monde qui n’a cure ni de l’ancien, ni de l’ancienneté. »

Extrait de « Je suis l’ours, la première religion de l’homme » dans l’ouvrage Confessions animales – BESTIAIRE, de Serge Bouchard